Le CUSE ( Collectif Une Seule Ecole), œuvrant dans la défense d’une école pour tous et toutes, engagé dans la lutte contre les discriminations au sein de l’école, a eu connaissance de l’annulation du baccalauréat de Sofiene (élève des Bouches du Rhône, dyspraxique, dysgraphique, considéré HPI), en raison d’une suspicion de fraude lors de l’épreuve écrite de HGGSP du 17 juin 2025.
Déroulé des faits :
Sofiene a droit à l’utilisation d’un ordinateur pour l’aider à compenser sa dyspraxie. C’est donc à l’aide de cet outil qu’il a composé l’épreuve écrite pour cette discipline. Il était accompagné le jour de l’examen d’une AESH qui ne l’avait jamais accompagné lors de sa scolarité. Dans la salle où l’épreuve s’est déroulée, un surveillant était également présent.
Le 2 juillet, Sofiene, encore mineur à cette date, est contacté sur son portable par la proviseure adjointe de son lycée qui le convoque le lendemain à 9h et l’informe de l’existence d’un PV réalisé par le correcteur de l’épreuve pour suspicion de fraude. Elle informe également Sofiene et sa mère, qui l’accompagne, qu’elle transmettra le PV au rectorat.
Le 4 juillet, la proviseure adjointe convoque l’AESH et le surveillant présents lors de l’épreuve. Tous deux fournissent des attestations qui écartent tout doute quant à la possible utilisation d’Internet de la part du candidat lors de l’épreuve.
Le 16 juillet, la famille reçoit une convocation du rectorat pour une commission disciplinaire prévue pour le 30 juillet. Ce jour-là, la famille a connaissance du PV du correcteur.
Le document ne permet pas de confirmer avec certitude si le texte a été rédigé avec l'intelligence artificielle (IA). Cependant, le rapport du professeur corrigeant la copie d'HGGSP mentionne plusieurs éléments qui suscitent une suspicion d'utilisation de l'IA.
Il trouve concrètement que la copie est extrêmement longue par rapport aux autres copies, que la dissertation est très bien rédigée, sans aucune faute, sauf pour l’introduction qui comporte deux fautes (il en déduit que celle-ci a été rédigé sans l’IA).
Il note une absence d’annonce de plan pour le devoir (il en déduit que c’est parce que cela a été fait par une IA qui ne ferait pas d’annonces de plan pour les dissertations). Il relève que le candidat donne des exemples très précis sous formes de listes mais non développés. Cela constitue pour lui une preuve supplémentaire allant dans le sens de l’utilisation de l’IA. Il trouve que le candidat utilise des formulations journalistiques peu communes chez les élèves et que l’étude de documents et la dissertation sont excellents. Il constate enfin que les documents à analyser pour l’épreuve sont peu convoqués dans la copie du candidat, ce qui alimente également sa suspicion. Il trouve enfin « étonnant » pour une bonne copie de peu citer les documents de l’épreuve.
Le correcteur fournit ensuite un document produit par un détecteur d’utilisation d’IA qui conclue à une probabilité que la copie de Sofiene ait été rédigé par une IA estimée 84% .
Le 23 juillet, l’orthophoniste qui a suivi Sofiene de l’âge de 6 ans jusqu’à l’âge de 16 ans, produit une attestation dans laquelle elle explique le profil cognitif complexe de son patient. En effet, elle indique un décalage entre la vitesse de son raisonnement et la laboriosité de sa structuration langagière. Elle note qu’il présente encore à l’heure actuelle des séquelles langagières en raison de son entrée tardive dans le langage. Elle note enfin la gageure qu’a toujours été d’évaluer un élève neuro-atypique à l’aide de test prévus pour et par des personnes normo-pensantes.
Le 30 juillet, la famille de Sofiene se rend au rectorat et prend connaissance du contenu PV établi par le correcteur. Elle dépose au rectorat des copies de Bac blanc de Sofiene qui comportent des notes comprises entre 17/20 et 20/20. Ils y joignent le courrier de l’orthophoniste ainsi que des attestations de ses professeurs de spécialité qui attestent du niveau scolaire. Tous ces éléments sont transmis dans le but que la commission en prenne connaissance avant le 5 septembre.
La commission disciplinaire se déroule le 5 septembre en présence d’un enseignant chercheur d’AMU, qui la préside, d’un IA-IPR du rectorat d’Aix -Marseille qui siège en qualité de vice-président, d’un IEN du rectorat, du proviseur d’un lycée aixois, d’un élève élu au conseil académique de la vie lycéenne, d’une secrétaire de séance et d’une représentante du recteur de l’académie Aix-Marseille.
Sofiene est accompagné par sa mère et son avocate. Il est interrogé (à l’oral) sur sa copie.
Le 20 septembre, la commission communique sa décision par courrier recommandé, à savoir, une interdiction de subir tout examen conduisant à l’obtention du baccalauréat ou d’un titre ou diplôme délivré par un établissement public dispensant des formations post-baccalauréat pour une durée de deux ans avec sursis ; la sanction s’accompagne de la nullité du premier groupe d’épreuves au baccalauréat.
Commentaires du CUSE
Le CUSE considère l’affaire de Sofiene comme un cas d’école de violence validiste de l’institution scolaire.
Premièrement, la suspicion du correcteur tient au fait que Sofiene a utilisé un ordinateur. Les élèves utilisant un ordinateur sont, de fait, plus susceptibles d’être soupçonnés que les autres, alors qu’ils composent souvent seuls dans des salles où ils sont étroitement surveillés, comme ce fut le cas de Sofiene.
Ensuite, la commission semble avoir ignoré pour statuer le certificat produit par la professionnelle du para-médical qui a suivi le candidat pendant des années et a fondé sa décision sur une interrogation orale- qui met en difficulté le candidat- et sur les arguments développés par le correcteur de l’épreuve de HGGSP qui sont des plus contestables.
En effet, le fait que les exemples donnés par le candidat dans son argumentation ne soient pas développés ne constitue pas une preuve que celui-ci ait eu recours à l’IA, pas plus que le fait qu’il n’ait pas fait de plan pour sa dissertation ou qu’il y ait deux fautes d’orthographe dans sa copie. Rappelons que Sofiene bénéficie d’un logiciel de correction d’orthographe.
Le correcteur de l’épreuve semble méconnaître qu’un élève qui compose à l’ordinateur peut écrire 60 à 100 mots par minute contre 20 à 30 mots pour un élève qui compose à l’écrit, ce qui explique la longueur de la copie par rapport aux autres copies.
Enfin, si le correcteur était un peu familier des profils neuroatypiques, il n’aurait pas été étonné de l’excellence ses analyses, de la fulgurance de sa pensée et de son expression singulière.
La décision de la commission est par ailleurs d’une extrême dureté puisqu’elle conteste la validité de toutes les épreuves réalisées par le candidat lors du baccalauréat, confirmant l’idée que pour cette commission qui dit « utilisation de l’ordinateur » dit « fraude probable ». Leur décision invalide en outre le rôle des surveillants d’épreuves, principaux garants de l’absence de fraude pendant l’épreuve. De même, la décision témoigne du mépris de l’administration du rectorat donné à la parole de l’AESH qui a également attesté qu’il n’y avait pas eu d’utilisation d’Internet.
Nous tenons à signaler, pour conclure, que nous avons soumis la décision de la commission à un détecteur d’IA qui a conclu à une probabilité que ce texte ait été par une IA estimée à 92%, ce qui prouve la piètre fiabilité de la preuve fournie en ce sens par le correcteur.
Pour toutes les raisons ci-dessus exposées, nous demandons l’annulation pure et simple de la décision de cette commission dont les dégâts sur un élève déjà fragilisé par des années de discriminations de la part de l’institution sont incommensurables et se poursuivent puisque Sofiene avait été admis en faculté de droit mais n’a pas pu intégrer cette formation à la rentrée de septembre.
L’affaire de Sofiene n’est pas un simple incident administratif : elle révèle la violence systémique d’une école encore incapable de reconnaître la diversité des intelligences et des parcours. En sanctionnant un élève pour avoir utilisé l’outil qui correspond à ses besoins, l’institution enterre une fois de plus sa promesse d’une école dite inclusive.
Pour le CUSE, défendre Sofiene, c’est défendre le droit fondamental de chaque élève à apprendre, à réussir et à accéder à tous les apprentissages nécessaires à un projet de vie autonome et émancipateur. C’est défendre une seule école pour toutes et tous.
DROITS
Quand les limites de l'inclusion tiennent au validisme - L'école "inclusive" contre Sofiene
Texte mis en ligne le 16 octobre 2025